Détresse mentale: décodage des maux liés au boulot

detresse-mentale-travail
29 Avr 2019 par Véronique Alarie
Catégories : Santé
Icon

Les troubles de santé psychologique au travail prolifèrent: à l’épuisement professionnel – ou burn-out – s’ajoutent désormais divers maux. Décodage du burn-in,du bore-out et du brown-out.

Dans la culture d’entreprise, le burn-out– qui se traduit par une fatigue extrême et une perte de passion au travail – fait tristement partie des meubles. On connaît pratiquement tous quelqu’un qui en a vécu un.

Or, s’il n’est pas encore reconnu au même titre que l’anxiété ou le stress post-traumatique dans la Classification internationale des maladies et le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, il n’en demeure pas moins que ces symptômes sont sensiblement les mêmes que ceux de la dépression: «On parle de baisse de concentration, d’impatience, d’insomnie, d’une sensibilité accrue, d’isolement, d’un sentiment de culpabilité, dit Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec. En fait, le burn-out est une forme de dépression, mais associée au contexte de travail.»

Le terme étant apparu dans les années 1960, on aurait pu croire que depuis tout ce temps, à force d’interventions, de sensibilisation et d’accompagnement approprié, l’épuisement professionnel aurait éventuellement pu être éradiqué. Échec et mat. Il a plutôt étendu ses tentacules dans les autres sphères de notre vie, comme en témoigne son petit cousin, le burn-out parental. Et en parallèle, d’autres problèmes de santé mentale au travail, dont le burn-in, le bore-out et le brown-out, se sont multipliés.

Du burn-in au burn-out

Selon Christine Grou, pour bien comprendre ces différents maux, il faut savoir les positionner sur un continuum: «Le burn-in est le phénomène qui précède le burn-out. Une personne en burn-in, c’est un employé qui fait du présentéisme: il est là de corps, mais plus vraiment d’esprit, parce qu’il se sent dépassé par la situation. Il est en état d’épuisement avancé, mais n’est pas encore en congé de maladie.»

Dans l’ouvrage français Les faces cachées du burn-out, le psychiatre Léon-Patrice Célestin et la psychologue clinicienne Smadar Célestin-Westreich le résument ainsi: «Le burn-in consiste à continuer à prester même quand on n’en est en réalité plus capable, physiquement et psychiquement.»

… et du bore-out au brown-out

Un peu de la même façon, le bore-out est un état qui, si on n’y remédie pas efficacement, risque de mener au brown-out. «Le nom le dit: le bore-out, c’est souffrir d’ennui au travail, note Christine Grou. La personne affectée manque de stimulations parce que son travail ne correspond pas à ce qu’elle serait capable de donner.» Bref, soit ses tâches sont insuffisantes, soit elles sont carrément plates!

À cette étape, on gagnerait à aller voir son supérieur pour lui dire qu’on se sent prêt à en faire plus, ou à réfléchir à une façon de se réaliser ailleurs qu’au boulot – en entamant de nouvelles études, par exemple. À défaut d’intervention, le bore-out risque de virer au brown-out, que Christine Grou qualifie de «baisse de courant» psychologique, une baisse de motivation.

Contrairement au burn-out, la personne en brown-out n’est pas surchargée, mais plutôt en mal de gratification et de reconnaissance. Son travail manque de sens à ses yeux: «Elle a le sentiment que ce qu’elle accomplit ne sert à rien, ou alors, que ça entre en conflit avec ses valeurs. Ça pourrait être le cas d’une personne qui toucherait un gros salaire à ne pas faire grand-chose, par exemple. La personne en brown-outdevient désinvestie à cause de l’absurdité de sa situation professionnelle, au point de ressentir un grand sentiment de vide.»

De l’importance de se sentir utile

C’est précisément ce qu’a vécu Chloé (prénom fictif), il y a quelques années. Elle venait de décrocher son baccalauréat en communications lorsqu’elle a obtenu son tout premier «vrai» emploi dans son domaine: «C’était dans une agence de publicité au centre-ville de Montréal, se souvient-elle. J’étais tellement fière!»

Au départ, la jeune femme s’y sentait à sa place, apprenant les bases de son nouveau métier à son rythme. Mais six mois plus tard, l’ennui a commencé à s’installer: «Je n’avais pas suffisamment de tâches. J’allais donc voir mes patrons pour leur demander comment je pouvais me rendre utile. Ils me donnaient parfois des mandats vides, comme de monter des documents de recherche qui n’allaient jamais être consultés. J’y consacrais une semaine de travail, puis je n’en entendais plus jamais parler. J’avais aussi des mandats de rédaction d’une durée de deux semaines, à raison de quatre fois par année. Je travaillais donc huit semaines annuellement. Le reste du temps, je n’avais rien à faire.»

Mal à l’aise avec la situation, Chloé se faisait un devoir d’être transparente avec son employeur: «Je remplissais mes feuilles de temps chaque semaine, et parfois, j’y indiquais “temps personnel” dans toutes les plages horaires. Je crois que vu mon salaire dérisoire, personne ne n’en formalisait. Ils appréciaient simplement m’avoir à leur disposition pour vérifier la grammaire et l’orthographe d’un courriel, de temps à autre.»

34 % proportion des Québécois âgés de 15 à 74 ans éprouvant un stress quotidien élevé au travail.

Des réponses physiologiques

Au fil du temps, l’estime personnelle de Chloé en a été affectée. «Je ne me sentais pas utile et j’avais l’impression que c’était ma faute, que je n’étais pas à la hauteur. Après quelques mois, je me suis mise à éprouver des symptômes physiques. Dès que j’arrivais au bureau, j’avais envie de vomir. Souvent, j’allais pleurer dans les toilettes. Le dimanche soir, j’étais en larmes à l’idée de retourner travailler le lendemain.» Elle a cru à une dépression.

«Après deux ans en poste, je suis finalement allée voir mon patron pour lui dire que je n’allais pas bien et que je préférais partir. Il m’a offert de supprimer mon poste, ce qui m’a permis de toucher de l’assurance-emploi quelque temps.»

Dès que Chloé s’est extirpée de son environnement de travail, tous ses symptômes se sont dissipés. «Je suis retournée travailler comme serveuse, un emploi que j’avais occupé durant mes études et dans lequel j’avais toujours bien performé. Ça m’a permis de rebâtir ma confiance en moi, jusqu’à ce que je sois prête à tenter le coup pour un nouveau poste en communications.» Elle occupe le même depuis quelques années et s’y réalise pleinement: «J’ai compris que je suis compétente et que j’ai besoin de faire plein de trucs différents. Je carbure aux défis; je veux et je peux en prendre!»

S’en sortir

Il est bien sûr normal que le travail s’accompagne occasionnellement ou périodiquement d’un certain sentiment de lassitude (soyons réalistes: on a tous besoin de vacances en février!). Il importe toutefois de savoir reconnaître les signes d’un réel malaise. «Le stade déterminant est celui de la détresse psychologique, soutient Christine Grou. Cette détresse varie d’une personne à l’autre et est difficile à quantifier. Mais dès qu’on éprouve des problèmes de sommeil, qu’on a des ruminations, qu’on se met à prendre un peu plus d’alcool pour parvenir à se détendre ou à s’engourdir, c’est le moment de réagir.»

Si, dans le cas de Chloé, s’extirper du milieu de travail a été salutaire, Christine Grou souligne que, bien souvent, une psychothérapie ou un accompagnement avec un expert en psychologie au travail est tout indiqué. Surtout si on souhaite éviter que la situation se répète plus tard, dans un autre contexte de travail: «L’idée est d’amener la personne à voir les choses autrement. On va restructurer la façon dont elle perçoit son emploi et se perçoit elle-même. Consulter lui permettra d’y voir plus clair et d’identifier des pistes de solution, puis d’obtenir de l’aide pour décider si le fait de quitter son poste s’avère la meilleure issue.»

Au Canada, plus de 30 % des demandes de remboursement pour incapacité transmises aux compagnies d’assurances seraient liées à des maladies mentales.

Changer le système

Au-delà de notre responsabilité individuelle à s’extraire de la tempête quand on s’y trouve plongée, on ne peut toutefois nier que le système actuel pose souvent problème ni qu’il serait temps que les employeurs misent sur la prévention pour enrayer à la source les risques liés aux troubles de santé mentale.

«Une des meilleures façons d’évaluer la santé mentale du personnel est de s’attarder à l’absentéisme, explique Christine Grou. Quand un milieu de travail présente un haut taux d’absentéisme, il faut se poser les bonnes questions et agir. Il existe toute une philosophie de gestion qui valorise le personnel et vise à éviter de tels problèmes: inspirons-nous-en! Il faut absolument qu’employeurs comme employés y soient de plus en plus sensibilisés, parce qu’à l’heure où on se parle, les troubles de santé mentale au travail sont en train de devenir un réel enjeu de société.»

Les «jobs à la con» de Graeber

Pour l’anthropologue américain David Graeber, la majorité des employés de bureau consacrent l’essentiel de leur temps à des tâches futiles, ce qui, à long terme, peut mener à une lourde perte de sens. Il a dénoncé le système favorisant la création de ces «bullshit jobs» (qu’on peut traduire par «jobs à la con») dans l’article On the Phenomenon of Bullshit Jobs: A Work Rant, publié dans le magazine Strike! en 2013, puis dans l’essai Bullshit Jobs: A Theory, qui a fait grand bruit l’an dernier. Pour nombre d’experts en psychologie du travail, la multiplication de ce type d’emplois serait étroitement liée aux phénomènes du bore-out et du brown-out.

Petit lexique pour s’y retrouver

Burn-in Phénomène qui précède le burn-out.L’employé en burn-inest épuisé et fait du présentéisme au travail: il est là de corps, mais plus vraiment d’esprit.

Burn-out Syndrome d’épuisement professionnel qui combine un état avancé de fatigue physique et mentale avec une impossibilité de fonctionner dans le contexte du travail.

Bore-out Syndrome d’épuisement causé par l’ennui au travail. Un manque de tâches à accomplir ou encore un emploi trop ennuyeux sont généralement en cause.

Brown-out État de détresse mentale qui cause une démotivation et un désengagement au travail, notamment parce que celui-ci nous place dans un conflit de valeurs.



Catégories : Santé
1 Masquer les commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse de courriel ne sera pas publiée.

  1. stephanie roy dit :

    Le burn out familiale m’était complètement inconnu. On ne peut pas démissionner de son rôle de parent. C’est extrêmement difficile de fonctionner à la maison avec une famille nombreuse dont les défis se multiplient. L’article m’amène à réfléchir à quelle aide existe-t’il pour ces familles au-prise avec un tel phénomène…

Ajouter un commentaire

Magazine Véro

S'abonner au magazine