Vers la sobriété… Un verre à la fois

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10 Jan 2023 par Élodie Parthenay
Catégories : MSN / Santé / Véro-Article
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Sober curious, Cali sober, mindful drinking: autant de tendances liées à la sobriété qui viennent révolutionner notre rapport à la consommation d’alcool et témoignent d’un mouvement plus profond. On en discute avec plusieurs experts.

Une étude menée par le producteur de spiritueux Bacardi montre que durant la dernière année, 58 % des consommateurs d’alcool ont augmenté leur consommation de cocktails non alcoolisés. Loin de la traditionnelle dichotomie entre consommateurs d’alcool et abstinents, on assiste à l’éclosion de zones grises dans nos habitudes de consommation. En effet, ce qu’on pourrait qualifier d’«expérimentation de la sobriété», que celle-ci soit vécue de façon temporaire (par exemple le Défi 28 jours de la Fondation Jean Lapointe, tenu chaque mois de février depuis 2013) ou qu’on cherche à s’en rapprocher le plus possible (en buvant de façon plus consciente, plus raisonnable ou plus sporadique), devient de plus en plus courante.

Parmi ces récents adeptes d’une consommation plus consciente, Taylor Gauley, copropriétaire de bars et de restaurants, a trouvé un équilibre après une période de sobriété complète imposée par une interaction malencontreuse avec des médicaments. «Avant, je buvais quasiment tous les jours – chaque fois que j’allais dans un de mes restaurants ou de mes bars – mais j’ai aussi souvent participé au “mois sans alcool” sans difficulté, dit-il. Après sept mois de sobriété, j’ai réalisé que je n’avais plus le goût de boire beaucoup. Aujourd’hui, je me contente d’un verre de vin ou d’un cocktail quand je sors.»

Les effets surprenants de la pandémie

Si son déclic initial était d’ordre personnel, Taylor Gauley attribue à la pandémie le mérite de lui avoir facilité les choses. Un son de cloche qui résonne aussi chez la psychologue Katia Bissonnette: «Avec la pandémie, beaucoup de gens ont été forcés de faire une introspection parce qu’ils se sont retrouvés pris avec eux-mêmes. Dans notre culture de productivité et d’action, beaucoup ont alors soudainement eu du temps pour réfléchir, du temps qu’ils n’avaient pas nécessairement avant.»

Un bénéfice inattendu que ce temps dédié à soi plutôt qu’aux sorties. En ce qui concerne l’alcool, on aurait pourtant pu s’attendre au résultat inverse: on se souvient tous des rumeurs de pénurie à la SAQ – et des longues files d’attente devant les succursales! –, ainsi que des 5 à 7 virtuels avec verre de vin à la main (et la bouteille à portée de bras) qui ont rythmé les premières semaines de confinement pandémique.

Le télétravail est venu troubler encore plus nos habitudes: quand le boulot, le domicile et la cave à vin se retrouvent au même endroit, où sont les limites? Plusieurs ont alors ressenti plus régulièrement le besoin d’un petit verre pour se détendre, tandis que l’isolement, les difficultés professionnelles et le niveau de stress s’accroissaient en toile de fond. Ce phénomène a d’ailleurs été cristallisé dans une des scènes les plus marquantes de la télésérie And Just Like That…, où Miranda déclare: «Oui, je bois trop. On le faisait tous pendant la pandémie et… j’ai simplement continué.»

«Ceux et celles dont les comportements à risque ont été plus intenses – que ce soit avec l’alcool, l’achat en ligne, la consommation de cannabis – sont arrivés à des constats plus rapidement, estime Katia Bissonnette. De la même manière, certains couples ont réalisé, en passant autant de temps ensemble, qu’ils n’étaient pas bien… au lieu de s’en rendre compte dans 10 ans. La pandémie a eu l’effet d’un accélérateur de prise de conscience.»

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Des impacts majeurs… Dès le premier verre

Ah, la joie de se réveiller le lendemain d’un party sans avoir mal à la tête! Qu’on ait cessé de boire ou qu’on boive simplement moins, c’est souvent le premier avantage qu’on remarque. Mais physiquement comme mentalement, les bienfaits de l’abstinence sont bien plus nombreux.

«Sur le plan de ma santé mentale, ç’a tout changé, révèle Marilou Lapointe, sobre depuis presque cinq ans. Avant, j’étais super anxieuse. La clarté d’esprit, c’est un des plus grands bénéfices de la sobriété. Je ne me rendais pas compte que j’avais un brouillard mental constant, ni à quel point l’alcool réduisait mon plein potentiel: j’ai vraiment commencé à vivre quand j’ai arrêté de boire.»

L’anxiété et les troubles cognitifs sont des effets prouvés de la consommation d’alcool, aussi faible soit-elle. Une étude menée récemment par l’Université de Pennsylvanie auprès de plus de 36 000 personnes a montré que c’est dès le premier verre que la consommation régulière (pas forcément quotidienne) d’alcool crée un vieillissement prématuré du cerveau… et le fait rapetisser.

«On pensait auparavant qu’une consommation d’alcool modérée était sans danger, mais dès que la personne consomme régulièrement un verre, il y a des impacts sur le traitement de l’information, de même qu’une perte de matière grise et blanche, précise la psychologue Katia Bissonnette. Quelqu’un qui boit une bière va subir une augmentation de son anxiété et une perturbation de son sommeil quatre heures après sa dernière gorgée. Il y a de quoi se questionner: si on veut rester en santé le plus longtemps possible, il faut faire certains choix.» De quoi révolutionner notre mode de consommation: si on traçait jadis une ligne de conduite claire entre boire et ne pas boire, en ayant en tête qu’un petit drink de plus ou de moins n’avait pas de conséquence, en réalité, chaque verre a un impact… Et, à l’inverse, chaque consommation remplacée par une boisson non alcoolisée est un gain pour notre santé.

Le plaisir au centre de l’expérience

Un écueil de taille guette toutefois les aspirants à la sobriété: le regard des autres. La consommation d’alcool est tellement normalisée dans notre société que c’est lorsqu’on ne boit pas – quelle qu’en soit la raison (choix personnel, grossesse, prise de médicaments, etc.) – qu’on se sent obligé de se justifier…

Comme l’explique Katia Bissonnette, cette crainte du jugement d’autrui peut mettre à mal nos efforts: «Tomber dans la justification, c’est très infantilisant. Ça peut alors être tentant de se dire: “Je vais prendre juste un verre…” Mais ce que je constate, c’est qu’il y a aujourd’hui beaucoup plus de choix de boissons sans alcool, qui peuvent même passer inaperçues.» À titre d’exemple, le producteur de spiritueux Duvernois a commercialisé au printemps dernier les versions sans alcool de ses trois prêts-à- boire Romeo’s Gin, dans des canettes reprenant les illustrations des versions originales signées par des artistes locaux. À moins d’y regarder de très près, impossible de faire la différence!

En tant que copropriétaire des bars primés Atwater Cocktail Club et Milky Way – le premier a été nommé 3e meilleur bar au Canada en 2020 par Canada’s 100 Best, et le second figure au 6e rang du classement des bars les plus cools du monde dressé par Time Out –, Taylor Gauley a également vu le marché évoluer. «En 2022, dit-il, c’est devenu super accessible: toutes les microbrasseries offrent une option sans alcool. Il y a cinq ans, ce n’était pas ça du tout… C’était plate. Aujourd’hui, mes deux bars proposent d’incroyables mocktails; les clients les adorent.» Leur point commun: une base de spiritueux sans alcool signée Seedlip, qu’on retrouve aussi au menu des restaurants Lov. Du côté des épicuriens de chez Joe Beef, l’expérience sans alcool est offerte par Proxies, une gamme de boissons créatives à base de fruits, de thés et d’épices présentées dans des bouteilles de vin (bouchon de liège inclus), conçues pour épouser au mieux la gastronomie et offrir une expérience de dégustation similaire à celle du vin, sans chercher à en reproduire le goût.

Recenser toutes ces options peut s’avérer chronophage, comme l’a remarqué Marilou Lapointe lorsqu’elle est devenue sobre, et d’autant plus que le marché est en plein essor. C’est pourquoi elle a lancé il y a deux ans Apéro à zéro, une plateforme qui est aujourd’hui la plus grande boutique en ligne canadienne de produits sans alcool et qui a aussi pignon sur rue à Montréal: «Les produits que je reçois sont tellement beaux et bons que les gens sont curieux d’y goûter. Même si ce sont de grands amateurs de gin, ils veulent essayer un gin sans alcool pour pouvoir les comparer. Et si on n’a pas envie de se contenter d’une eau pétillante entre deux consommations alcoolisées, on peut maintenant alterner avec un bon Aperol spritz ou un bon bourbon sans alcool.»

Car il ne faudrait pas oublier le goût dans tout ça: boire un bon verre de vin ou déguster un excellent spiritueux, c’est avant tout un plaisir. Avec autant d’options sans alcool aisément accessibles, la sobriété n’est plus l’ennemie de l’épicurisme. Et ça n’a jamais été aussi facile de prendre soin de notre santé, un verre (en moins) à la fois.



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