Un savoureux héritage
Le lendemain, je découvre l’île de São Jorge, où les maisons aux toits d’ardoises sont parsemées entre les falaises et la mer. On appelle «fajãs» ses villages isolés, dont certains ne peuvent être atteints qu’au terme de plusieurs heures de marche. Ici aussi, les vaches font partie du paysage – y compris du paysage sonore, musique singulière où se mêlent tintements de cloches et beuglements. «Parfois, lorsqu’il y a du brouillard, on les entend sans les voir», raconte Pedro Correia, mon guide pour la journée, qui possède lui-même 40 vaches. Sa préférée? Leia, baptisée par son fils en l’honneur de la princesse de Star Wars. «Elle accourt chaque fois que je l’appelle», dit-il, me montrant pour preuve une vidéo sur son téléphone.
Pedro m’explique que les habitants des fajãs ont appris à être autosuffisants en produisant tout ce dont ils ont besoin, incluant leur vin, leur café et leur thé – on trouve d’ailleurs aux Açores les seules plantations de café et de thé d’Europe –, et bien entendu leur fromage frais, qu’ils accompagnent de malagueta, une compote de piments. Mais la véritable spécialité de cette île est le São Jorge (qui, comme le São Miguel, est vendu dans certaines fromageries du Québec). Ce fromage d’appellation d’origine protégée, traditionnellement produit avec du lait cru et affiné de 3 à 36 mois, remonte aux Flamands qui se sont installés dans ce coin de pays il y a plus de 500 ans. On a bien essayé de reproduire sa recette sur les autres îles de l’archipel, mais sans succès. On doit son goût à l’herbe fraîche dont se nourrissent les vaches (Pedro insiste sur le fait que, sur cette île, elles ne mangent aucune herbe coupée), mais aussi au microclimat de São Jorge, dont la géographie est particulièrement escarpée.

La Lagoa do Fogo, sur l’île de Sao Miguel.
De retour à São Miguel, j’ai la chance de goûter à une version bien spéciale du São Jorge au restaurant À Terra, situé à Ponta Delgada, la capitale des Açores. Dans son cellier, le chef Cláudio Pontes en conserve une meule de 24 mois, qu’il a fait vieillir pendant quatre années supplémentaires. Il m’en tranche un morceau, tout en m’expliquant ce qui l’a poussé à revenir sur son île natale, «le plus beau garde-manger du monde», après avoir longtemps travaillé pour des restaurants réputés de Lisbonne.
Je le comprends d’avoir troqué la ville pour l’air pur et les montagnes verdoyantes des Açores. Ici, il n’y a pas que les vaches qui bénéficient de la beauté du paysage… Il suffit de goûter aux fromages de ces îles pour le savoir.
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Photos: Violaine Charest-Sigouin